L’alternative du blitz training pour augmenter les bénéfices de la formation
Logistikê - 07/02/2022
Un très interpellant article relevé dans la Harvard Business Review (HBR) en 2016, dont Amid Faljaoui s'était fait l'écho dans la revue Trends Tendance sous le titre "Les entreprises gâchent 365 milliards de dollars par an en formations", soulève d’intéressantes questions concernant le contenu de la formation professionnelle.
En résumé, et pour reprendre les termes d'Amid Faljaoui, ce qu'affirment les auteurs, c'est que l'argent dépensé en formations en entreprise ne procure aucun résultat tangible à celle-ci, parce que les personnes formées finissent par retrouver leurs anciens réflexes. La faute en incomberait aux directions qui, en ne favorisant pas les conditions d’un changement post-formation, décourageraient les formés de mettre en oeuvre les nouvelles pratiques.
Je rappelle tout d'abord que HBR n'est pas une revue scientifique au
sens académique du terme, mais un magazine publiant des recherches en
gestion. Certes, leurs auteurs savent indiscutablement de quoi ils
parlent. Il n'en reste pas moins que leurs écrits dans ce magazine ne
suivent pas les principes de la publication scientifique. C'est une
différence subtile, mais qui est pourtant de taille. Sans remettre en
question la qualité de ces chercheuses et chercheurs, force est de noter
qu‘une publication dans HBR relève plutôt d'une opinion, même si
solidement argumentée.
Cette petite précision étant donnée, je
m'autorise à fournir à mon tour une contre-opinion. Elle est issue de
mon expérience de plus de 40 ans dans le monde de la formation au sens
large (enseignement, formation professionnelle, accompagnement d'élèves
en difficulté, etc.), mais également d’homme de chiffres, spécialiste de
la mesure et de l’évaluation.
Tout d'abord, si certaines
directions d'entreprise semblent en effet penser la formation
professionnelle comme un instrument de motivation plutôt qu'un véritable
vecteur de transformation, il convient de ne pas en faire une
généralité. Mon expérience personnelle me montre au contraire des
commanditaires désireux d’observer a posteriori un accroissement des
compétences du personnel formé. Ils demandent d'ailleurs très souvent de
l'attester par le biais d'épreuves organisées au terme de la formation.
En
bref, le souci me parait plutôt résider dans les difficultés
rencontrées tant par les directions que les formés dans l'évaluation de
ces nouvelles compétences.
Au niveau du formé tout d'abord,
détenteur très récent de nouvelles connaissances et dès lors victime
d’une sorte de syndrome de l’imposteur: il éprouve le sentiment qu’il
n’en connaît pas assez pour que ce soit utile. Il souhaite d’abord
consolider ses savoirs inédits avant de les opérationnaliser dans son
environnement professionnel. Le problème est qu’on sait depuis longtemps
que la consolidation de compétences nouvelles nécessite précisément une
telle opérationnalisation. L’individu doit pouvoir mesurer les effets
de la mise en œuvre de ces connaissances afin de fixer celles-ci. On se
rappellera le vieil adage "c’est en forgeant que l’on devient forgeron".
On ne peut reprocher cette attitude au formé, mais en même temps, elle limite la perception de ses aptitudes par sa hiérarchie.
Au
niveau de cette dernière ensuite, qui doit faire face à ce brouillard
autour de ses capacités réelles engendré par le personnel formé
lui-même. Or, cette opacité renforce également les difficultés de la
hiérarchie à mener une analyse coûts-bénéfices des actions de formation,
à défaut de disposer de méthodes et de données pertinentes pour ceci.
Au
cœur de la problématique réside donc une défaillance de l’évaluation
des compétences, tant du point de vue du formé que de sa hiérarchie. Il
s’installe ainsi un cercle vicieux:
Chez Logistikê, nous pensons qu’un moyen de sortir de
ce cercle vicieux consiste en l’application du concept de "blitz
training". Nous l’avons plus particulièrement développé dans notre
domaine de prédilection du traitement numérique de données.
Un
blitz training renvoie à une image assez forte: on n’apprend pas à
quelqu’un l’ensemble des compétences du nageur ou de la nageuse
chevronnée, dans le but hypothétique qu’il puisse survivre s’il était
lâché en plein milieu de l’Océan Atlantique.
À l’inverse, l’idée
centrale du blitz training consiste à partir de différents petits
problèmes opérationnels susceptibles d’être rencontrés par le public de
la formation dans son environnement professionnel. La variété de ceux-ci
est suffisamment large pour que chacun puisse reconnaître la pertinence
de l’un au moins d’entre eux dans son propre contexte.
Le
contenu de la formation est alors focalisé sur les seuls outils et
aspects strictement nécessaires à la résolution du problème opérationnel
traité.
Au terme du blitz training, le formé a ainsi obtenu
tant les connaissances visées, que leur application dans un contexte
opérationnel facilement substituable à son environnement professionnel.
Cette transposition va ensuite assurer la visibilité par la hiérarchie
de ces nouvelles compétences acquises. Encouragée par leur présence et
leur pertinence, la hiérarchie va fournir son support au formé, afin
qu’il poursuive ses efforts d’opérationnalisation. La consolidation des
connaissances qui en résulte renforce à son tour la confiance du formé,
initiant alors un cercle vertueux.
Illustrons cette approche par
un exemple concret: l’apprentissage du logiciel de comptabilité Sage Bob
50, une de nos formations de référence.
Les formations à l’usage
de ce logiciel sont habituellement découpées en modules de difficulté
croissante: débutant, avancé, approfondi. Ce faisant, elles se
focalisent donc sur la présentation de fonctionnalités du logiciel de
plus en plus complexes.
Certes, elles restent profitables. Force
est cependant de constater que l’utilisateur ne fait appel à plusieurs
des fonctionnalités soumises que de manière épisodique dans son activité
professionnelle. Faute de pouvoir les opérationnaliser, elles sombrent
dès lors peu à peu dans l’oubli, nécessitant ensuite une ou plusieurs
séquences de rappel.
Notre propre approche est sensiblement
différente. En réalité, nous plongeons le public de la formation dans
des situations-problèmes auxquelles sont confrontés régulièrement les
professionnels de la comptabilité. Il s’agit de traiter un dossier de
pièces comptables diverses depuis un état initial de la comptabilité
d’une société, jusqu’à la clôture de son exercice comptable. Le travail à
effectuer est séquencé et réalisé à l’aide du logiciel Sage Bob 50,
dont les ressources nécessaires – et celles-là uniquement - sont
mobilisées au fur et à mesure des besoins.
On pourrait reprocher à
cette méthodologie qu’elle passe sous silence plusieurs fonctionnalités
utiles du logiciel, et on aurait d’ailleurs raison, parce que tel n’est
pas l’objectif poursuivi ici. Il s’agit plutôt d’amorcer un processus
d’assimilation et de consolidation des connaissances en se référant à
des situations très concrètes. On vise l’autonomie du formé dans
l’apprentissage, qui le conduira ensuite à découvrir par lui-même (ou
par le biais d’une formation plus classique) des fonctionnalités non
abordées plus avancées.
Un second atout de cette méthodologie
est que ses effets ne se limitent pas au contenu programmé de la
formation. Très souvent, le traitement des situations-problèmes amènent
aussi à les théoriser et à offrir ainsi un nouveau regard sur celles-ci.
Ainsi en est-il de nos formations avancées sur l’outil Excel. Par
exemple, celle consacrée à la résolution de problèmes financiers et qui
recourt aux formules d’Excel, y compris matricielles, ainsi qu’à
certaines de ses macros complémentaires, comme l’utilitaire d’analyse.
Derrière
la notion de blitz training se cache également celle d’efforts intenses
d’apprentissage, mais de courtes durées et entrecoupés de phases
d’assimilation assez longue. Un module comporte fréquemment 5 séquences
journalières de 2.5 h réparties sur une semaine.
Toutefois,
chaque séquence correspond à un traitement complet d’une
situation-problème, de sorte que le formé peut immédiatement mettre en
œuvre les nouvelles compétences lors de la journée qui le sépare de la
prochaine séquence, initiant ainsi le processus de consolidation.
En
résumé et n’en déplaise aux auteurs de HBR, je suis convaincu qu’il n’y
a pas de fatalité conduisant la formation professionnelle à un gâchis
financier. Des alternatives existent dont celle du blitz training,
menant au contraire à une profitabilité accrue de celle-ci pour les
entreprises.
Auteur: Dr Robert Sojic, Partner Logistikê