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Lutte contre le Greenwashing - un sujet de priorité règlementaire pour les autorités ESAS

22.03.2024
Conformément à leur mandat par la Commission européenne, les ESAs ont, chacune, publié en 2023 un rapport sur l’avancement de leurs travaux sur l’encadrement du risque de greenwashing dans leurs domaines respectifs – banques, assurances, retraites et marchés financiers. Après avoir proposé une définition commune de la notion de greenwashing, elles ont mis en exergue les risques qu’entrainent le greenwashing ainsi que les contextes favorisant la mise en œuvre du greenwashing par un acteur financier. Elles plaident pour un cadre de supervision plus formalisé et harmonisé et la montée en compétence des ACN. Les rapports finaux sont attendus pour mai 2024.

  1. LES ESAS PROPOSENT UNE COMPRÉHENSION COMMUNE DU GREENWASHING ET METTENT EN GARDE CONTRE LES RISQUES ASSOCIÉS

    1.1. Les ESAs ont été mandatées par la CE pour mettre en place un cadre harmonisé de lutte contre le greenwashing
    En mai 2022, les ESAs ont été mandatées par la Commission européenne qui a demandé à chacune d’entre elles, dans le cadre de ses compétences sectorielles, de fournir des informations sur le phénomène du greenwashing, d’abord sous la forme de rapports d’avancement en 2023. Un rapport final contenant des conclusions définitives est prévu pour mai 2024.
    Il s’agit d’élaborer une compréhension commune de haut niveau sur le greenwashing avec des caractéristiques clés:
    • La définition du greenwashing.
    • Les types de greenwashing les plus pertinents.
    • Les occurrences du greenwashing et les plaintes qui s’y rapportent.
    • Les risques que le greenwashing fait peser sur les entités du secteur financier, les investisseurs et les consommateurs.
    • Les pratiques, expériences et capacités de surveillance, y compris les outils de suivi du greenwashing.
    • Les lacunes, les incohérences et les problèmes dans le cadre législatif actuel qui pourraient conduire à un éventuel greenwashing.
    • Les pratiques de supervision du greenwashing, y compris les contestations éventuelles de celles-ci.
    • L’état d’avancement de la mise en œuvre de la législation relative à la finance durable.
    1.2. Les ESAs ont élaboré une définition commune de la notion de greenwashing
    Le greenwashing est une pratique dans laquelle les déclarations, les actions ou les communications liées au développement durable ne reflètent pas clairement et équitablement le profil de durabilité sous-jacent d’une entité, d’un produit financier ou de services financiers. Le greenwashing concerne en particulier les allégations trompeuses qui affirment ou impliquent qu’une entité ou un produit profite à l’environnement ou aux personnes. Cette pratique peut induire en erreur les consommateurs, les investisseurs ou d’autres participants au marché.
    Des allégations trompeuses liées à la durabilité peuvent se produire et se propager intentionnellement ou non, et en relation avec des entités et des produits qui relèvent ou non du cadre réglementaire de l’UE.
    L’omission, l’ambiguïté, les affirmations vides (y compris l’exagération), l’utilisation trompeuse de la terminologie ESG telle que la dénomination et l’absence de pertinence sont considérées comme les critères trompeurs les plus répandus de greenwashing.
    Le greenwashing peut entacher la stratégie et les objectifs ESG des acteurs du marché, leur performance, ainsi que les labels et certificats. Les engagements concernant la performance ESG future d’un produit sont considérés comme les plus enclins au greenwashing.

    1.3. Les ESAs ont défini des objectifs communs en matière de lutte contre le greenwashing
    Les ESAs souhaitent répondre aux attentes des parties prenantes afin de:
    • Garantir la protection des consommateurs et des investisseurs.
    • Soutenir l’intégrité du marché.
    • Maintenir un environnement de confiance pour une finance durable.
    • Lutter de manière coordonnée contre le greenwashing.
  2. L’EBA FAIT UNE ANALYSE TRÈS FINE DU RISQUE DE GREENWASHING DANS L’INDUSTRIE BANCAIRE

    2.1. Le périmètre des analyses de l’EBA couvre les banques et les entreprises d’investissement
    Le rapport d’avancement se concentre principalement sur le secteur bancaire, mais couvre également les entreprises d’investissement et les prestataires de services de paiement, avec toutefois une contribution limitée sur les prestataires de services de paiement en l’absence de retour d’information suffisant.

    2.2. L’EBA fait un constat sur le niveau croissant des cas de greenwashing en UE…
    Les résultats de l’analyse quantitative du phénomène du greenwashing dans l’UE depuis 2012 montrent une nette augmentation du nombre total de cas potentiels de greenwashing dans tous les secteurs, y compris les banques de l’UE. Cela indique également une augmentation de la responsabilité climatique : l’attention accrue du public au changement climatique a conduit les entreprises à être tenues plus régulièrement responsables de leurs politiques environnementales, de leur impact climatique et de leurs publications.Toutefois, l’analyse des données ne permet pas de déterminer dans quelle mesure ces tendances constatées sont principalement motivées par le fait que les entreprises s’engagent effectivement davantage dans le greenwashing et/ou par le fait que le greenwashing fait l’objet d’un examen plus minutieux de nos jours et tend donc à être plus fréquemment identifiées, critiquées et signalées par les parties prenantes.

    2.3. …en identifiant les contextes favorisant la démarche de greenwashing…
    Une banque peut potentiellement s’engager dans le greenwashing de multiples façons. Il s’agit principalement d’une démarche initiée au niveau d’une entité bancaire de manière globale. En revanche, la démarche de greenwashing semble plutôt limitée au niveau du produit, sauf dans le cas des produits d’investissement, pour lesquels les offres et les demandes liées au développement durable sont beaucoup plus développées que dans les services bancaires de détail et les services bancaires aux entreprises.

    2.4. …en décrivant l’impact du greenwashing sur l’industrie bancaire et sur les consommateurs
    Le greenwashing peut avoir un impact négatif sur les risques financiers des institutions et, en fin de compte, sur les consommateurs. Les conseils d’administration et les parties prenantes estiment que le greenwashing a le plus d’impact sur le risque de réputation, suivi des risques opérationnels et stratégiques/commerciaux des banques et des sociétés d’investissement. Moins d’impact est perçu sur les risques de liquidité et de financement.

    2.5. La prise de conscience sur le risque de greenwashing est encore faible au sein des banques en l’absence de cadre règlementaire formalisé
    L’importance relative du risque de greenwashing pour les banques est actuellement perçue comme plutôt faible, mais on s’attend à ce qu’elle atteigne une valeur moyenne, voire élevée, à l’avenir. L’aperçu de la réglementation et de la surveillance existantes ou prévues révèle que plusieurs éléments peuvent déjà, ou devraient à l’avenir, contribuer à traiter certains aspects du greenwashing en s’attaquant aux déclarations trompeuses et en améliorant la transparence des pratiques de durabilité.
    Certains défis ont toutefois été identifiés par les parties prenantes et plusieurs mesures du cadre réglementaire de la finance durable en sont encore aux premiers stades de la mise en œuvre, tandis que d’autres sont en cours de mise à jour ou d’élaboration. Ainsi, les avantages de ces cadres de règlementations ne sont pas encore pleinement visibles.À ce stade d’avancement de ses travaux, l’EBA ne formule pas de recommandations stratégiques. Toutefois, elle poursuivra son évaluation de l’efficacité et des lacunes potentielles des cadres de réglementation et de surveillance et précisera la nécessité de toute mesure supplémentaire lors de l’élaboration de son rapport final sur le greenwashing, les risques qui y sont associés ainsi que la mise en œuvre, la surveillance et l’application des politiques financières durables visant à prévenir le greenwashing.

  3. DANS LA MÊME LOGIGUE QUE CELLE DE L’EBA, L’EIOPA ANALYSE LES VULNERABILITÉS DU SECTEUR DE L’ASSURANCE VIS-À-VIS DU RISQUE DE GREENWASHING

    3.1. L’EIOPA a identifié différentes manifestations du greenwashing sur les produits d’assurance…
    L’EIOPA constate que le greenwashing peut se manifester à des degrés divers, dans le cadre plus large des risques de conduite à tous les stades des cycles de vie de l’assurance. Il s’agit par exemple au niveau:
    • De l’entité.
    • De la fabrication des produits.
    • De la livraison des produits.
    • De la gestion des produits.
    • Des pensions (par exemple, la conception, la prestation et la gestion des régimes).
    Des exemples potentiels de greenwashing sont inclus dans le rapport de l’EIOPA pour montrer comment le greenwashing peut se produire dans la pratique.

    3.2. …et ses conséquences sur les consommateurs et les fournisseurs de produits d’assurance
    Le greenwashing a un impact considérable sur:
    • Les consommateurs d’assurance et de retraite, car il peut tromper les consommateurs en leur faisant acheter des produits qui ne correspondent pas à leurs préférences.
    • Les fournisseurs d’assurance et de retraite, car ils pourraient subir une atteinte importante à leur réputation lorsque le grand public est informé d’un événement de greenwashing.
    3.3. L’EIOPA réaffirme la nécessité d’un cadre de surveillance harmonisé et formalisé pour lutter contre le greenwashing notamment à travers la montée en compétence des ACN
    Pour lutter contre le greenwashing, il est nécessaire d’assurer une surveillance adéquate. Conscients de ce fait, l’EIOPA et les autorités nationales compétentes ACN ont commencé à intégrer le greenwashing dans leurs activités de surveillance:
    • Les ACN ont déclaré un total de 22 ETP exclusivement dédiés à la durabilité, les tâches de surveillance connexes dans le secteur des assurances et des retraites.
    • Seules 10 ACN estiment disposer de ressources et d’une expertise suffisante pour lutter contre le greenwashing.
    • 17 ACN déclarent ne pas disposer de ressources et d’une expertise suffisantes pour lutter contre le greenwashing.
    • 3 ACN ont déclaré avoir identifié un ou plusieurs cas de greenwashing sur leur marché.
    • 5 ACN étudient actuellement les cas potentiels de greenwashing.
    • 21 ACN n’ont pas identifié de cas de greenwashing en raison de contraintes de ressources, d’une faible offre de produits présentant des caractéristiques de durabilité et du fait que les exigences pertinentes en matière de financement durable sont nouvelles ou ne sont pas pleinement en vigueur.
    La plupart des ACN ont déclaré estimer que des mandats, pouvoirs, obligations et boîtes à outils actuels et à venir en matière de surveillance leur permettraient de prévenir suffisamment le greenwashing et d’identifier, de surveiller et d’enquêter sur le greenwashing. Toutefois, 23 ACN ont noté que certaines données ou certains outils pourraient toujours manquer.
    Bien que l’Union européenne (UE) ait été à l’avant-garde de la mise en place d’un cadre réglementaire pour lutter contre le greenwashing, le cadre présente un certain nombre d’incohérences et de lacunes, mises en évidence par les commentaires reçus dans le cadre des différents exercices de collecte de données de l’EIOPA.

    3.4. Par ailleurs, la lutte contre le greenwashing passe par la sensibilisation des consommateurs et le renforcement des dispositifs internes des fournisseurs de produits d’assurance
    Certains fournisseurs d’assurance et de retraite ont mis en place des processus de gouvernance pour prévenir et surveiller le greenwashing.
    La lutte contre le greenwashing passe également avec la sensibilisation des consommateurs et l’assurance que ces derniers ont un niveau de compréhension adéquat des aspects et de la documentation en matière de durabilité.

  4. ENFIN, L’ESMA FAIT UN TRAVAIL COMPARABLE À CELUI DES AUTRES AUTORITÉS SUR LE RISQUE DE GREENWASHING SUR LES MARCHÉS FINANCIERS EUROPÉENS ET EMET LES PREMIÈRES RECOMMANDATIONS

    4.1. L’ESMA a identifié des situations conduisant au greenwashing…
    L’ESMA a évalué quels domaines de la chaîne de valeur de l’investissement durable sont les plus exposés au risque de greenwashing. Cette évaluation vise à:
    • Aider les acteurs du marché à prévenir et à atténuer le greenwashing.
    • Aider l’ESMA et les ACN à hiérarchiser les mesures de surveillance et les interventions réglementaires.
    Les résultats montrent que les allégations trompeuses peuvent concerner:
    • Tous les aspects clés du profil de durabilité d’un produit ou d’une entité.
    • Des aspects de gouvernance à la stratégie de durabilité, aux objectifs et aux mesures ou aux allégations concernant l’impact.
    • Les indicateurs et objectifs de performance ESG.
    • L’impact sur la durabilité.
    Les allégations de durabilité qui semblent particulièrement exposées aux risques de greenwashing en ce qui concerne les gestionnaires de placements sont celles concernant:
    • L’engagement d’un fonds ou du gestionnaire avec les entreprises détenues.
    • La stratégie, les politiques et les références ESG.
    • La gouvernance ESG ainsi que les revendications sur l’impact sur le développement durable.
    Les domaines les plus exposés aux risques de greenwashing sont:
    • Les déclarations d’impact liées à des indices de référence spécifiques en matière de climat et d’ESG.
    • Les problèmes qui sont également communs aux fonds, tels que les pratiques de dénomination trompeuses, le manque de transparence concernant les avoirs probables et les méthodologies de données ESG.
    • Les déclarations concernant la mesure dans laquelle les conseils proposés aux investisseurs de détail tiennent compte de la durabilité.
    • Les situations dans lesquelles un conseiller peut ne pas fournir de conseils personnalisés appropriés lorsqu’il présente les caractéristiques de durabilité des produits.
    4.2. …ainsi que quelques causes du greenwashing
    Le greenwashing est le résultat de multiples facteurs interdépendants. En effet, les acteurs du marché:
    • Sont confrontés à des défis dans la mise en œuvre des processus et des outils de gouvernance nécessaires qui soutiennent des informations de durabilité de haute qualité et des efforts de transition.
    • Éprouvent également des difficultés à produire des données pertinentes et de haute qualité sur la durabilité et à y accéder.
    Par ailleurs, l’inadéquation entre la demande croissante de produits ESG et le pool limité d’actifs jugés durables, en particulier ceux conformes aux normes élevées du règlement taxonomique de l’UE, crée une incitation concurrentielle pour les acteurs du marché à gagner des parts de marché et des revenus en renforçant leurs profils de durabilité, ce qui peut dans certains cas être trompeur.

    4.3. L’ESMA plaide pour la montée en compétence sur l’ESG tant pour les acteurs de marché que pour les ACN…L’ESMA pointe la nécessité de renforcer l’expertise en matière de durabilité pour les acteurs de marché et les autorités de supervision étant donné les évolutions rapides des réglementations sur l’ESG.Enfin, le cadre réglementaire doit gagner en maturité, les concepts clés doivent être clarifiés et l’impact ou l’engagement en matière de durabilité doit être mieux intégré. Il devrait aussi permettre de renforcer la reconnaissance du financement de la transition sur la base d’informations fiables et de définir des conventions de dénomination pour les instruments financiers.

    4.4. …et propose des premières mesures de remédiation pour renforcer le cadre de lutte contre le greenwashing
    Pour atténuer les risques de greenwashing, les acteurs du marché doivent:
    • Redoubler d’efforts pour garantir la protection des investisseurs et l’intégrité du marché et maintenir un environnement de confiance pour les investissements durables.
    • Mettre en œuvre des diligences raisonnables pour bien comprendre la chaine de valeur de durabilité des produits financiers.
    • Assumer leur responsabilité de faire des déclarations sur la durabilité justifiées.
    • Communiquer sur la durabilité de manière équilibrée et transparente.
    • Améliorer la compréhensibilité de la publication d’informations sur la durabilité pour les investisseurs de détail, notamment en établissant un système d’étiquetage fiable et bien conçu pour les produits financiers.
    • Fournir une transparence accrue sur les hypothèses et les paramètres sous-jacents pour aider les investisseurs à prendre des décisions d’investissement éclairées en tenant compte de l’ambition et de la crédibilité des engagements en matière de durabilité
    • Fournir une image juste, claire et non trompeuse du profil de durabilité d’une entité
    • Surveiller les publications d’entreprise afin d’éviter les cherry picking et les incohérences en matière ESG.
    • Renforcer l’expertise des équipes internes en matière ESG.
    • Mettre en œuvre des processus de gouvernance, d’organisation interne et des systèmes informatiques nécessaires pour soutenir efficacement la qualité des informations sur le développement durable et des efforts de transition.
    • Renforcer les capacités de collecte et de production des données ESG de haute qualité.
    • Mettre en place les processus de vérification externe des informations produites en complément des travaux d’audit interne afin d’améliorer la fiabilité et l’exhaustivité des données sur la durabilité.
    L’atténuation de ces risques de greenwashing nécessiterait:
    • Des clarifications concernant le concept de contribution à un objectif durable.
    • Des informations normalisées et standardisées.
    • La lutte contre l’utilisation abusive du règlement sur la publication d’informations sur la finance durable (SFDR) en tant que régime d’étiquetage.
    • Le renforcement de l’interaction du règlement sur les indices de référence avec des éléments plus récents du cadre de finance durable, de même que l’introduction d’un label fiable pour les indices de référence ESG et de conventions de nommage.
    • Le renforcement du cadre réglementaire en ce qui concerne le concept de préférences en matière de durabilité.
    • Le renforcement de la culture ESG des investisseurs particuliers ainsi que l’expertise des conseillers financiers.
    • Le renforcement du cadre réglementaire en clarifiant certains concepts clés y inclut les notions relatives au financement de la transition, l’impact sur la durabilité ou l’engagement.
    • La mise en place d’un système d’étiquetage fiable et bien conçu pour les produits financiers durables pour fournir plus d’assurance aux investisseurs de détail.
    5. RÉFÉRENCES

    ESMA30-1668416927-2498 Progress Report on Greenwashing (europa.eu)
    Advice to the European Commission on Greenwashing – (europa.eu)
    EBA progress report on greewnwashing.pdf (europa.eu)
    ESMA71-545613100-2323 ESAs put forward common understanding of greenwashing and warn on risks – Press release (europa.eu)

    Abréviations et glossaire
    ESA: EBA, EIOPA et ESMA
    CE: Commission européenne
    ACN: Autorité Compétentes Nationales (supervision)

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